Anneau de ne-pas-faire


Don Juan semblait parfaitement détendu, et ses yeux brillaient d’une manière espiègle. Cela m’encouragea à poser mes questions. Son déguisement surtout m’intriguait.
 
« Je t’ai montré un peu de mon ne-pas-faire », dit-il et ses yeux s’illuminèrent.
 
« Mais aucun de nous n’a vu le même déguise-ment. Comment vous y êtes-vous pris ?
 
– Très simplement, répliqua-t-il. 
 
C’étaient seulement des déguisements, parce que tout ce que nous faisons est d’une certaine manière un déguisement.
Tout ce que nous faisons est, comme je te l’ai déjà dit, affaire de faire. 
Un homme de connaissance pourrait lui-même s’accrocher au faire de tout le monde et produire des choses vraiment curieuses.
Mais en fait elles n’ont rien de curieux.
Elles ne sont curieuses que pour ceux qui sont englués dans le faire.
« Ces jeunes gens et toi-même, vous n’êtes pas encore sensibles au ne-pas-faire, par conséquent il était facile de vous mystifier tous.
– Mais comment y êtes-vous arrivé ?
 
– Cela n’aura aucun sens pour toi. Il n’y a aucun moyen pour te faire comprendre cela.
– S’il vous plaît, don Juan, essayez.
 
– Disons que lorsque chacun de nous naît, il apporte avec lui un petit anneau de pouvoir. 
Et presque sur-le-champ cet anneau de pouvoir est utilisé. Ainsi, dès la naissance, nous sommes tous accrochés, et nos anneaux de pouvoir sont attachés à ceux de tous les autres. Autrement dit, nos anneaux de pouvoir sont accrochés au faire du monde de manière à faire le monde.
 
Citez-moi un exemple, comme ça je comprendrai mieux.
 
– Nos anneaux de pouvoir, le tien, le mien, sont en ce moment accrochés au faire de cette pièce. 
 
Nous faisons cette pièce. 
 
Nos anneaux de pouvoir font qu’en ce moment cette pièce existe.
– Pas si vite, pas si vite. Cette pièce existe par elle-même. Je ne la crée pas. Je n’ai rien à voir avec elle. »
Mes protestations n’influencèrent en rien don Juan qui maintint très calmement que la pièce où nous étions assis était rendue existante et existait par la force des anneaux de pouvoir de tous les hommes.
« Vois-tu, reprit-il, chacun de nous sait le faire d’une pièce parce que d’une façon ou d’une autre nous avons passé une grande partie de nos vies dans des pièces.
Par ailleurs, un homme de connaissance développe un autre anneau de pouvoir que je nommerai l’anneau de ne-pas-faire parce qu’il est accroché au ne-pas-faire.
Par conséquent avec cet anneau il peut produire un autre monde. »
 
……reprendre notre conversation. Il me vint en aide.
« La difficulté pour toi provient de ce que tu n’as pas encore développé ton autre anneau de pouvoir et que ton corps ne connaît pas le ne-pas-faire. »
Je n’y comprenais rien. Mes pensées s’attardaient sur quelque chose de plus terre à terre. Je désirais seulement savoir s’il avait ou non enfilé un costume de pirate.
Il ne répondit pas mais eut un rire tonitruant. Je le suppliai de m’éclairer.
« Mais je viens de te l’expliquer, rétorqua-t-il.
 
– Voulez-vous dire que vous n’aviez pas de déguisement ?
– Je n’ai rien fait d’autre que d’accrocher mon anneau de pouvoir à ton faire. 
Tu as fait toi-même le reste, tout comme les autres.
– C’est absolument incroyable !
 
– Nous avons tous appris à être d’accord sur le faire, dit-il avec douceur. 
Tu n’as pas la moindre idée du pouvoir qu’un tel accord entraîne avec lui. 
 
Mais heureusement ne-pas-faire est aussi un miracle et un puissant miracle. »
 
Un remous incontrôlable perturba mon estomac.
Un abîme infranchissable séparait mon expérience de ses explications.
Comme toujours ma défense fut de déboucher sur une position de doute et de méfiance d’où surgissait la question suivante : « Et si don Juan était de mèche avec ces jeunes Indiens ?
S’il avait tout préparé ? »