Le Roi du Monde : Melchizedek


René Guénon (1886-1951) France

Professeur de philosophie. Fréquente les milieux occultistes de Paris.

Initié à l’ésotérisme islamique et à l’hindouisme. Auteur de plus de 25 livres et recueils sur l’ésotérisme et la spiritualité.

Fait le rapprochement entre l’Orient et l’Occident.

Dans le livre Le Roi du Monde, René Guénon nous dévoile sa perception de Melchizedek et du lien de ce dernier avec la Tradition Primordiale.

« Le nom de Melchissédec, ou plus exactement Melki-Tsédeq, n’est pas autre chose, en effet, que le nom sous lequel la fonction même du « Roi du Monde » se trouve expressément désignée dans la tradition judéo-chrétienne.

Nous avons quelque peu hésité à énoncer ce fait, qui comporte l’explication d’un des passages les plus énigmatiques de la Bible hébraïque mais, dès lors que nous nous étions décidé à traiter cette question du « Roi du Monde », il ne nous était véritablement pas possible de le passer sous silence.

Voici d’abord le texte même du passage biblique dont il s’agit : Et Melki-Tsedeq, roi de Salem, fit apporter du pain et du vin; et il était prêtre du Dieu Très Haut (El Elion). Et il bénit Abram, disant Bénis soit Abram du Dieu Très-Haut, possesseur des Cieux et de la Terre; et béni soit le Dieu Très-Haut, qui a livré tes ennemis entre tes mains. Et Abram lui donna la dîme de tout ce qu’il avait pris.

Melki-Tsedeq est donc roi et prêtre tous ensemble; son nom signifie « roi de Justice », et il est en même temps roi de Salem, c’est-à-dire de la Paix; nous retrouvons donc ici, avant tout, la « Justice » et la « Paix », c’est-à-dire précisément les deux attributs fondamentaux du « Roi du Monde ».

Il faut remarquer que le mot Salem, contrairement à l’opinion commune, n’a pas désigné en réalité une ville, mais que, si on le prend pour le nom symbolique de la résidence de Melki-Tsedq, il peut être regardé comme un équivalent du terme Agartha.

Le nom primitif de Jérusalem était Jébus… Le nom Salomon (Shlomoh) dérive du nom Salem, signifiant le Pacifique…

Melki-Tsedeq est représenté comme supérieur à Abraham, puisqu’il le bénit et, sans contredit c’est l’inférieur qui est béni par le supérieur ; et de son côté Abraham reconnaît cette supériorité puisqu’il lui donne la dîme, ce qui est la marque de sa dépendance. Il y a là une véritable « investiture », une investiture spirituelle…

Le sacerdoce de Melki-Tsedeq est le sacerdoce d’El Elion : le sacerdoce chrétien est celui d’Emmanuel; si donc El Elion est Emmanuel, ces deux sacerdoces n’en sont qu’un, et le
sacerdoce chrétien, qui d’ailleurs comporte essentiellement l’offrande eucharistique du pain et du vin, est véritablement « selon l’ordre de Melchisédec ».

La tradition judéo-chrétienne distingue deux sacerdoces, l’un « selon l’ordre d’Aaron », et l’autre « selon l’ordre de Melchisédec »; et celui-ci est supérieur à celui-là, comme Melchisédec est supérieur à Abraham, duquel est issue la tribu de Lévi, et par conséquent, la famille d’Aaron…

Citons encore cette autre parole de Paul; « Ici, ce sont des hommes mortels qui perçoivent les dîmes; mais là, c’est un homme dont il est attesté qu’il est vivant… »

Cet « homme vivant » qui est Melki-Tsedeq, c’est Manou qui demeure en effet perpétuellement, (en hébreu le-ôlem), c’est-à-dire pour toute la durée de son cycle (Manvantara) ou du monde qu’il régit spécialement.

C’est pourquoi il est sans généalogie, car son origine est non humaine, puisqu’il est lui-même le prototype de l’homme; et il est bien réellement fait semblable au Fils de Dieu, puisque, par la Loi qu’il formule, il est, pour ce monde, l’expression et l’image même du Verbe divin. »