Voici un texte de Carlos Castaneda : La force du silence.
Puis il parla de l’homme de l’Antiquité. Il dit que l’homme de l’Antiquité savait, de la manière la plus directe, ce qu’il y avait à faire et le moyen de le faire le mieux possible.
Mais, parce qu’il y réussissait si bien, il acquit un sens de l’identité, qui lui donna l’impression qu’il pouvait prédire et projeter les actes qu’il était habitué à accomplir.
Et, ainsi, l’idée d’un « moi » individuel apparut : un moi individuel qui commença à dicter la nature et la portée des actes de l’homme.
À mesure que le sens du moi individuel se renforçait, l’homme perdit son lien naturel avec la connaissance silencieuse.
L’homme moderne, qui est l’héritier de cette évolution, se trouve donc si désespérément coupé de la source universelle qu’il ne peut exprimer que son désespoir par des actes violents et cyniques d’autodestruction.
Don Juan affirma que la raison du désespoir et du cynisme de l’homme tient à la petite part de connaissance silencieuse qui demeure en lui, et qui détermine deux attitudes :
d’un côté, elle donne à l’homme une idée de son ancien lien avec la source universelle ; de l’autre, elle lui fait sentir que, privé de ce lien, il n’a aucun espoir de paix, de satisfaction ou de réalisation.
Je crus que j’avais attrapé don Juan en train de se contredire.
Je lui fis remarquer que la guerre était un état naturel pour le guerrier, que la paix était une anomalie.
« C’est exact, admit-il. Mais la guerre, pour un guerrier, ne se traduit pas par des actes individuels ou collectifs stupides ou par une violence gratuite. La guerre, pour un guerrier, est la lutte totale contre le moi individuel qui a privé l’homme de son pouvoir. »
Puis don Juan dit qu’il était temps de parler plus longuement de l’implacabilité – le principe le plus fondamental de la sorcellerie.
Il m’expliqua que les sorciers avaient découvert que tout mouvement du point d’assemblage se traduisait par un éloignement de ce souci excessif du moi individuel qui était la caractéristique de l’homme moderne.
Il poursuivit en me disant que les sorciers croyaient que c’était la position du point d’assemblage qui avait fait de l’homme moderne un égotiste homicide, un être totalement absorbé par sa propre image.
Ayant perdu l’espoir de jamais revenir à la source universelle, l’homme cherchait le réconfort dans son sentiment d’identité.
Et, ce faisant, il réussit à fixer son point d’assemblage sur la position exacte qui lui permettait de perpétuer sa propre image.
Il était donc raisonnable de dire que tout éloignement du point d’assemblage par rapport à sa position habituelle avait pour conséquence un éloignement par rapport à l’auto contemplation de l’homme et à son corollaire : la suffisance.
Don Juan décrivit la suffisance comme la force engendrée par l’image que l’homme avait de lui-même.
Il répéta que c’était cette force qui maintenait le point d’assemblage fixé là où il se trouvait maintenant.
(…)
Les sorciers savent, par leurs actions pratiques, qu’aussitôt que leur point d’assemblage se déplace, leur suffisance s’effondre.
Hors de la position habituelle de leur point d’assemblage, l’image qu’ils ont d’eux-mêmes ne peut plus se maintenir.
Et sans la concentration massive qu’ils accordent à cette image, leur apitoiement sur eux-mêmes disparaît et, avec cet apitoiement, leur suffisance.
Les sorciers ont donc raison de dire que la ‘suffisance n’est que de l’apitoiement sur soi-même déguisé.
(…)
Il me déclara qu’un nagual, dans son rôle de chef ou de professeur doit se comporter de la façon la plus efficace, mais aussi la plus impeccable.
Comme il ne lui est pas possible de planifier rationnellement ses actions, le nagual laisse toujours l’esprit décider de sa ligne de conduite.
Il me dit qu’à partir du moment où l’esprit se manifestait, chaque étape était menée facilement à bonne fin.
Et mon point d’assemblage atteignit le lieu sans pitié quand, sous la pression de la transformation de don Juan, il fut forcé d’abandonner sa position ordinaire d’auto contemplation.
« La position de l’auto contemplation, poursuivit don Juan, force le point d’assemblage à assembler un univers de fausse compassion, mais de cruauté et d’égocentrisme très réels.
Dans cet univers, les seuls sentiments réels sont ceux qui conviennent à celui qui les éprouve.
« Pour un sorcier, l’implacabilité n’est pas la cruauté. L’implacabilité est le contraire de l’apitoiement sur soi-même et de la suffisance.
L’implacabilité est la sobriété. »
Et ensuite un texte de Robert Jane dans l’enseignement de Seth :
A mesure que vous avancez dans votre lecture, vous vous rendez compte que l’information reçue n’est pas un attribut des lettres qui composent les mots eux-mêmes.
La ligne imprimée ne contient pas l’information. Mais transmet l’information. Où est l’information transmise si ce n’est dans la page ?
Le même problème se pose quand vous lisez un journal ou quand vous parlez à quelqu’un. Les mots recueillent l’information, les sentiments ou les pensées. Naturellement les pensées ou les sentiments, d’une part, et les mots, d’autre part, ne constituent pas une seule chose.
Les lettres, dans les pages, sont des symboles, et vous avez accepté qu’ils soient reliés à des significations variées.
Vous tenez pour acquis, sans même y penser, que les symboles (les lettres) ne sont pas la réalité (information ou pensée) qu’elles essaient de transmettre.
De la même manière, je vous dis que les objets sont également des symboles qui prennent la place d’une réalité dont la signification est précisément transmise par les objets.
La véritable information n’est pas plus dans les objets que la pensée n’est dans les lettres ou dans les mots.
Ceux-ci sont des moyens d’expression.
Les objets également mais dans un registre différent.
Vous êtes familiarisés avec l’idée que vous vous exprimez directement à l’aide de mots.
Vous pouvez vous écouter les prononcer.
Vous pouvez sentir vos muscles en action et, si vous êtes attentifs, vous pouvez percevoir les multiples réactions dans votre corps, c’est-à-dire les actions qui sont toutes liées au fait de parler.
Les objets physiques sont le produit d’un autre type d’expression : vous les créez aussi sûrement que vous créez les mots.
Je ne veux pas dire que vous le faites matériellement.
J’entends par là que les objets, comme les mots, sont les sous-produits naturels de l’évolution des espèces.
(..)
De même que les mécanismes de la parole sont peu connus de vous, de même il n’est pas surprenant que vous soyez ignorant de tâches plus compliquées, par exemple la constante création de votre environnement physique comme moyen de communication et d’expression.
C’est seulement à partir de ce point de vue que la véritable nature de la matière peut être comprise.
C’est seulement en saisissant la nature de cette constante traduction des pensées et des désirs que vous pouvez prendre conscience de votre indépendance à l’égard des circonstances du temps et du milieu.