Présence


Les années passant, l’usage du flux conduisit, avec le temps, à un état plus élevé que j’appelai « Présence ». On associe habituellement ce mot à la sensation que fait naître la proximité de quelqu’un ou de quelque chose. Ce mot désigne également l’état où l’on est conscient de ce qui se passe. La présence qui me parvenait était absolument impersonnelle. Ce n’était pas l’impression de la proximité de quelqu’un, ni l’exacerbation de ma propre perception de ce qui se passait, mais simplement la Présence – la totalité pure d’une conscience existant sans commencement.

Malgré son impersonnalité absolue, cet état était l’ami le plus attentif, affectueux et tendre que j’aurais pu rencontrer. Être dans la présence était comme revenir chez soi après un long voyage long et difficile. La présence a la qualité de l’espace. C’est, en fait, exactement un espace lumineux infini, d’une pureté virginale et en même temps, empli à ras bord de possibilités créatrices infinies. Elle est pleine de paix et de tranquillité, mais son aide à la création est inépuisable. Tout ce que nous pouvons imaginer – et au-delà – s’y trouve en germe.

Dépourvue de partie distinctes, la Présence se manifeste comme une totalité d’un seul tenant ; c’est quelque chose d’unique, sans le moindre signe de fragmentation ni de morcellement. De plus, elle contient une dynamique intérieur, elle ne stagne jamais. Un vent frais et pénétrant traverse de toutes parts ce ciel toujours jeune. Son tendre frôlement fait penser à la respiration. C’est la respiration de l’éternité.

La Présence ne se fait pas sentir par quelque chose de distinct d’elle-même. Ce n’est pas notre « moi », au sens usuel du mot, mais son fondement, son essence la plus abyssale et la plus secrète. Cependant, bien qu’elle soit notre fondement, cette essence ne nous appartient pas. Elle est même, aussi bien pour nous que pour l’univers tout entier.

Fait surprenant, il n’y a rien d’inhabituel dans la manifestation de la présence. Elle n’a de rien de commun avec l’extase ou la transe. Dans le grand secret de l’univers, il n’y a rien de mystique ou qui vienne de l’au de-là. La Présence est aussi ordinaire que les mots tracés sur cette page.

Pendant de longues années, j’ai cru que l’instrument principal menant à la libération était la méditation. Au fond, je prenais la méditation pour la Voie. En réalité, la Voie se trouve, non dans la méditation, mais dans la compréhension. Ni la prière, ni la méditation, ni la concentration de la pensée ne pouvaient me mener où j’aspirais : là-bas – puisqu’il n’existe aucun là-bas. Tout ce que je cherchais se trouvait carrément ici, sous mes pieds, en un trésor éparpillé sur lequel je marchais, le prenant pour de la boue.

Si l’on tentait de formuler en deux mots tous les enseignements, tous les préceptes reçus, ce serais « soit serein ». Tosha exprimait cela aussi laconiquement. Son conseil universel, en toute situation, était : « Du calme ! »

L’état de Présence surgit toujours de lui-même. L’obtenir est impossible. Tout effort pour atteindre cet état ou pour le retenir conduit à sa disparition. A cet égard, la Présence fait pensé à un oiseau effarouché, prêt à s’envoler à n’importe quel moment. L’attitude d’inaction attentive semble être l’état le plus adéquat pour que la Présence puisse surgir. Pourtant, la faire venir est impossible. Elle arrive toujours d’elle-même, comme la pluie. Parvenir à l’état de Présence ou la saisir par la pensée est impossible, car ce « moi » qui désire sa venue n’existe pas comme entité à part, doué de volonté. C’est une minuscule bulle irisée à la surface de l’océan, qui se demande où se trouve l’océan.

Bien qu’insaisissable et inconcevable, la Présence est stupéfiante de réalité. Sa réalité dépasse infiniment la réalité du monde que nous connaissons, qui, en comparaison, apparaît comme une image trouble sur l’écran d’un vieux téléviseur. Notre monde paraît réel si on le regarde de l’intérieur. Mais, si on fait un pas de coté, on voit alors clairement combien relative est cette réalité.

La réalité relative du monde est la cause principale de notre éternelle inquiétude. Rien n’est sûr dans ce monde. Tout fuit, il n’y a rien à quoi se raccrocher. Nous ne pourrons nous calmer tant que nous ne reviendrons pas chez nous. Attribuant une réalité a ce monde, dans la mesure où nous ne connaissons rien d’autre, nous attribuons également une réalité aux souffrances que nous éprouvons ici. La Présence n’anéantit pas les souffrances, mais montre leur irréalité.

Seul celui qui cherche peut concevoir que personne n’a lieu de se précipiter où que ce soit, pour atteindre quoi que soit. Dans l’état de Présence, il ne reste rien de se que l’on pourrait désirer, rien de là où se précipiter, rien de ce que l’on devrait fuir. Tous mes effort d’autrefois pour essayer d’aller quelque part et de parvenir à quelque chose, je le vois maintenant comme de tourner en rond absurdement, pour essayer de s’attraper soi-même par une queue inexistante. Tout s’est avéré beaucoup plus simple. Il suffisait simplement de s’arrêter et de se calmer.

Le chercheur et celui qu’il cherchait se sont rencontrés il y a longtemps, au tout début, et ils sont restés inséparables depuis. Nous ne devinons pas que nous sommes depuis longtemps là où nous avons toujours voulu être. C’est pourquoi nous faisons du surplace. Les gouttes qui tombent dans l’océan disparaissent pour toujours, mais il ne se passe rien pour l’eau qui les constitue.

Tout cela ne signifie pas, cependant, que ma conscience, après avoir traversé une succession de révélations et d’illuminations mystiques, s’est unie à quelque chose de sublime et de parfait. Rien de tout cela. C’est toujours « moi » que je connais : limité, crispé et éternellement insatisfait qui est devenu ce que les hindous désignent en sanskrit par «  Tat tvam asi : Tu es cela ». Ce que nous sommes vraiment ne porte ni nom ni appellation.

Regarde attentivement. Cette lumineuse Présence immortelle est juste là et maintenant, comme elle a toujours été et le sera toujours. Ceci n’est rien d’autre que Toi-même.

Qu’il en soi ainsi.