Notre niveau d’être est ce qui crée notre vie


« Notre niveau d’être est ce qui crée notre vie, et non l’inverse. »


Maintenant, une lucidité nouvelle mettait fin à tous mes compromis. Je voyais ces gens, et à travers eux, comme dans une glace déformante, c’est moi que je voyais.

Notre situation commune m’échappait plus : c’était celle d’individus prisonniers de leur rôle et pourtant un masque tragicomique qui affichait, même dans le rire, la perpétuelle grimace d’une souffrance sans fin, celle de
machines endormies qu’actionnaient des fantasmes mesquins et de futiles désirs.


Le Rêveur m’avait enseigné que les autres sont une projection de nous-mêmes. Ces hommes et ces femmes étaient moi. J’étais entouré de miroirs innombrables où mon image se reflétait à l’infini et se fragmentait en des milliers d’autres images qui étaient encore et toujours moi, douloureusement moi.


En déambulant, j’observais l’écume des émotions, le sillage des pensées que tous être humain laisse derrière lui comme la trace gluante d’une grande limace.


J’étais moi aussi un de ces êtres distraits que je croisais, enfermés dans une bulle de soucis et d’égoïsme.

J’étais une goutte de ce Styx qui s’ignore, qui serpente au milieu des gratte-ciel, qui baigne les rues et s’y écoule en soupirant jusqu’à son mortel destin.

Une seul chose me distinguait d’eux. J’avais connu le Rêveur. Je savais qu’une révolution était indispensable. Et avec son aide, je faisais mes premiers pas dans cette direction.


Depuis que le Rêveur m’avait ouvert les yeux sur la condition d’employé en y voyant une transposition moderne de l’esclavage, cette armée d’hommes et de femmes qui se rendaient à leur travail me faisaient penser à un essaim d’insectes que pousse une force aveugle.

Je les voyais chaque matin envahir des étages entiers de gratte-ciel, occuper des millions de cellules aussi petites que des alvéoles et les remplir de leur bourdonnement.

Leurs glandes transportaient une vie limoneuse : un fardeau d’idées noires et l’épais sirop de leurs émotions.


Et tandis que j’allais, moi aussi, occuper ma minuscule cellule, je songeais à
l’incommensurable population de la planète qui devait, comme moi, passer la majeur partie de sa vie dans une entreprise en échange d’une rétribution.

Je me demandais quel sens cela pouvait bien avoir dans l’évolution de l’humanité, à quoi pouvait bien servir le tourment d’un aussi grand nombre
d’hommes prisonniers du champ hypnotisant de leur personnage.


Tant au bureau qu’en dehors du travail, il était visible que la peur les tenaillait ; je percevais en eux mes propres angoissent et mon propre malheur.

Je voyais, cachés sous une mince pellicule de rationalité apparente, la logique ambivalente, la pensée destructrice, l’élan de la mort qui nous
poussent sans cesse à nuire d’abord à nous-mêmes et ensuite aux autres.

Sous des sédiments d’émotions stratifiés depuis des siècles, je devinais la corruption intérieur qu’engendraient l’anxiété, les incertitudes, les insécurités et une peur infinie de vivre et de mourir.


Une réelle terreur m’emportait à la pensée que, sans le Rêveur, j’aurais de nouveau fait partie de cette engeance de morts-vivant.


Un jour que je lui demandais ce qu’il attendais par l’expression « hommes ordinaires » ou « horizontaux », comme il les appelaient souvent, il eu cette réponse inoubliable :
« Ce sont les hommes et le femmes qui étudient, qui enseignent, qui travaillent, qui font des enfants, qui les élèvent, qui conçoivent et construisent des rues et des gratte-ciel, qui écrivent des livres, qui fondent des religions, qui occupes des postes privés et remplissent des charges publiques, même aux plus haut échelons.


Le tout sous hypnose. Endormies, ils tâtonnent, à jamais enfermés dans une bulle d’oubli et de malheur.»


« Quand tu as compris le jeu, tu ne peux plus y participer », m’avait révélé le Rêveur,

et je sentais que, si pénible qu’il me soit de renverser ma vision ordinaire du monde, ma vie était en train de changer et je ne pouvais plus revenir en arrière.

Je savais que l’on peut se rendre maître de son destin.

J’étais enfin sur de pouvoir dominer, diriger mon existence.


Pour le Rêveur, le microcosme se composait de l’univers physique, des insectes aux galaxies, de tout ce qui est extérieur à nous, du monde visible, mais aussi de ce que nous ne pouvons ni voir ni toucher. Le macrocosme était l’univers de l’être.


« Dans le microcosme, tout est lent. Il y a des obstacles, des limites, des priorités à respecter. Le temps y règne. Les hommes s’y déplacent à la file indienne, et dépasser est impossible.


« Consacre toi à ton être. Il n’y a qu’en toi-même, les yeux fermés, que tu pourras voler, rêver, t’élever jusqu’à l’ordinaire et le surpasser. Le véritable agir est le non-agir.


« Pour changer la nature des événements, il faut changer notre vision des chose.


L’univers matériel deviendra un jour notre chef-d’oeuvre, l’image spéculaire de la volonté exhumée, la parfaite matérialisation de l’art du Rêve. »


Le souvenir continuel des leçons du Rêveur, mon observation de moi-même, mes études, mes expériences avec la nourriture, le sommeil et la respiration, mon jogging matinal, tous mes autres exercices physiques et la pratique du silence étaient en train de fendre le cocon qui m’enfermait.

La lumière d’une vie nouvelle filtrait déjà par cette échancrure.


Vivre dans l’immédiat était pour le Rêveur la chose la plus précieuse qui soit. Je m’efforçai de faire de l’ici et maintenant une discipline à pratiquer à chaque instant.


« Sors aussi souvent que tu le peux de la dimension temporelle dans ta vie de tous les jours. L’observation de soi est le remède. Dés l’instant où tu constates que tu n’es plus présent, tu es présent. »


Je me promettais chaque matin de ne pas m’éloigner de l’instant, de maintenir toute la journée cet état de vigilance.

Malheureusement, il me suffisait de réintégrer la routine du travail
pour oublier ma résolution et laisser mille et une pensées m’envahir.


Étant donné que ma vigilance s’effritait, mes préoccupations, mon anxiété, mes idées noires revenaient me broyer, comme si un barrage, en s’effondrant, m’avait écrasé et réduit à une taille lilliputienne.

De temps en autre seulement, comme si je m’éveillais d’un cauchemar, je me rendais compte que je n’était qu’une passoire.

Ma vie s’écoulait de mes nombreuses blessures.


« L’observation de soi permet à un homme d’entrer dans les méandres les plus sombres de l’être. C’est seulement alors que peut avoir lieu une réelle transformation et qu’il parvient à trouver le sens profond de son existence. »


Par l’observation de moi-même et la course à pied, je découvris le lien qui existe entre le corps, les émotions et la pensée. Il est impossible de nourrir une préoccupation ou de rester de mauvaise humeur si la partie physique de l’organisme acquiert une plus grande rapidité.

Nos états les plus négatifs ne survivent que si l’on se complaît dans les zones les plus denses et les plus lente de l’être.


A leur tour, le mode de pensée et la qualité des émotions influent inévitablement sur le corps physique.

L’effort délibéré que l’on fait pour améliorer une pensée ou apaiser une émotion peut, aussi vite qu’un ordinateur, transformer notre condition physique, voire nos particularités somatique.


Je m’aperçus que la pensée, les émotions et le corps sont un seul univers composé de mondes concentriques et interactifs où les mêmes circonstances produisent leurs effets à des vitesses et à des moments très divers.


Je compris à quel point il m’aurait été difficile de me connaître et de me transformer si j’avais commencé ce travail dans les régions les plus subtils et les plus rapides de l’être au lieu d’intervenir sur le corps physique.

« Si tu augmentes la vibration du corps, la fréquence du monde entier sera telle que tous les conflits, toutes les dissensions et toutes les guerres disparaîtront et il n’y aura plus qu’harmonie, vérité et beauté.


« Supprime tes bornes intérieures. Accepte d’être à l’origine de tous et de tout, et imprègne l’univers entier de l’éclat de ta vie et de ta force. »


La course à pied m’amena à prêter attention à ma respiration.

Respirer est notre réflexe le plus intime et le plus vital, mais nous en avons rarement conscience.


La respiration accompagne tous nos gestes, s’accorde au rythme des pensées, s’ajuste à l’intensité des émotions et à l’effort physique, rejoint toutes les fibres de l’être, tous les centres vitaux.

Tout au long de la vie, la respiration est courte et superficielle.

Nous remercions rarement notre système respiratoire, rarement reconnaissons-nous tout ce que nous lui devons depuis notre
première gorgée d’air.


« Un jour, tu sauras ce qu’il faut faire pour transformer le monde, pour hausser ton niveau de responsabilité au moyen des instruments du Rêve : la pensée & la respiration. »

Ce n’est pas un hasard si les mots « réponse », « respiration » et « responsabilité » ont la même racine latine et la même étymologie.


« le monde se modèle à ton degré de responsabilité »


« L’ampleur de la respiration d’un homme correspond à son degré de responsabilité et détermine tout ce qu’il peut posséder et faire.

Tu ne peux posséder que ce dont tu es responsable. »


Le Rêveur me montrait ainsi clairement que le principe de l’équilibre fondamental entre l’être et l’avoir pouvait expliquer le monde.