L’évasion n’est pas pour tous



Les images commencèrent à défiler sur l’écran.

Je vis des multitudes d’êtres humains faire le coude à coude dans des couloirs d’entreprise, envahir les bureaux à aires ouvertes ou fermer dans
des cagibis aussi petits petits que les alvéoles d’une ruche.


« Ce ne sont que des ombres ; jusqu’à présents, rien n’a pu transformer cette humanité, la conduire vers une autre espèce.


« Seule une révolution individuelle pourra renverser la façon de penser et de ressentir de ces millions d’hommes et de femmes prisonniers de leur sommeil hypnotique. »


Le Rêveur me faisait explorer les niveaux inférieurs des entreprises.

J’entrais à ses cotés dans des univers denses, lourds, remplis de prisonniers.

J’assistais, ébahi, à la succession de ces images.

Je regardais les gens et les choses flotter dans un liquide verdâtre d’un immense aquarium que les néons livides éclairaient faiblement.

Moi qui avais vécu là pendant tant d’années, je compris soudain combien cela avait été pénible pour moi et combien était affligeante la vie de ces créatures condamnées à respirer chaque jour l’air qu’elles mêmes empoisonnent.


Tout un coup la vitre derrière laquelle grouillait cet univers malade se transforma en miroir où se dessina la silhouette de deux vieillards décrépits, courbés, aux cheveux blancs.

Je remarquai leur peau plissées et fendillées comme une terre brûlée.

Les rides de leur visage étaient si creuses qu’on eût dit des balafres.

Ces vieux avaient quelque chose d’étrangement familier qui m’angoissait.


Je les examinai attentivement en m’efforçant de déterminer la raison de mon inquiétude.

Puis je l’ai reconnus, et j’en frémis d’horreur.

Ces deux vieillards étaient nous, le Rêveur et moi.


Terrifié, je me tournai vers lui. Il dominai parfaitement la situation. Son visage grave était plus jeune que jamais et il m’encourageait d’un sourire.

J’en fus rasséréné, mais un désespoir muet, exempt de pleurs, m’avait écorché l’âme.


Je vis une foule de jeunes dans une file d’attente.

Une faible étincelle de lumière brillait encore dans leur yeux.

Ce ruban humain défilait devant un examinateur sinistre qui les écartait l’un après l’autre ou leur assignait une tache.

Tel Minos aux Enfers qui juge et condamne en un seul tour de queue, il distribuait les rôles éprouvants, des emplois stables dans des soubassements d’entreprise.

La pâleur de ces jeunes, leurs regard pas encore tout à fait éteint m’inspirait de la pitié.


Je savais qu’ils se condamnaient à ne jamais être heureux.


« Être choisi est au-dessous de la dignité.

Un homme doit rêver son travail, choisir ce qui correspond à son dessein, à sa prédilection. »


« L’évolution des masses est impossible !

Aucune révolution, aucun idéologie ne peut la réaliser.

L’évasion n’est par pour tous.


Seul l’individu peut y parvenir. »


« Ce que tu vois n’est pas l’humanité, dit-il, soulignant ainsi le fait que je ne comprenais pas. La foule que tu vois n’est pas extérieure à toi ! »


« Cette multitude que tu regardes représente ta dégradation ; ces hommes avilis par la douleur, par l’angoisse des rivalités sont des fragments épars de ton être, le reflet spéculaire du désespoir qui t’habite. »


« Tu ne peux agir que pour toi seul ! Eux sont toi. Ta transformation métamorphosera l’humanité toute entière. Si tu veux que prenne fin cette affliction, que l’humanité guérisse, guéris-toi toi-même ! »


« C’est là le seul salut accessible à la masse, l’homme est encore une créature en transition, à la psychologie incomplète.

L’évolution de l’espèce est un parcours vers l’intégrité qui doit avoir lieu du dedans au dehors et obéit à un processus d’unification qu’on ne serait lui imposer.

C’est pour cette raison que toutes les vieilles méthodes ont échoué.

Les guerres et les révolutions n’ont rien donné. »


« La prochaine phase de l’évolution de l’homme ne peut avoir lieu dans un avenir historique, mais seulement dans un temps exempt de temps, dans un futur vertical. »


« Les entreprises de l’avenir seront des Écoles de l’être. »


« Les affaires deviendront une religion universelle, la plus grande de toutes.

C’est dans le domaine des affaires beaucoup plus que dans les couvents, les mosquées ou les ashrams que les hommes déploient des efforts titanesques pour atteindre des niveaux supérieur de responsabilité.


C’est dans le domaine des affaires que l’adversité et les difficultés deviennent peu à peu les agents de propulsion de notre voyage vers la liberté.

C’est dans les gratte-ciel des multinationales et dans les temples de la finance beaucoup plus que dans les synagogues et les monastères que les hommes s’activent à tenter l’impossible :

le renversement de leur vision convenu du monde, la transformation de leur destin. »


« Rêver, c’est créer un monde intérieur où tu n’es plus un simple effet de la vie, une marionnette du monde des apparences.

L’objectif de l’École est la délivrance : délivrance des conflits, de la souffrance, de la désunion, de la mort.


« Le rêve est ce que tu insères entre toi et la vie.

L’homme ordinaire croit que la vie est la cause et lui, l’effet.

Seul un travail sur lui-même, les leçons d’un École du bouleversement
peuvent renverser cette conception défaitiste du monde.


« Une École authentique se livre à un travail de fouille, elle élimine les scories, les matériaux stratifiés, les déchets, elle recherche ce qui nous a déjà appartenu et ce qui nous rendait intègres, heureux, immortels : la volonté.


« L’École et la volonté sont une seule et même chose.

L’École est une volonté extérieur.


La volonté est une École intérieure.


« Quand ta vraie volonté émergera, tu n’auras plus besoin de l’École.

Quand nous aurons exhumé notre volonté, nous serons maître de nous-mêmes.

Être maîtres de nous-mêmes, c’est être maître de l’univers.


« Toute chose cache un trésor qui nous revient de droit, et c’est la découverte de ce trésor qui nous amène à posséder toute chose. »