LA LEÇON DE L’ÉPUISEMENT


Dans la nuit qui n’en finit pas, nos âmes suivent un homme qui marche
seul. Elles voient sa frêle silhouette trébucher dans les ornières et
l’entendent pester contre l’univers entier. Sa lampe torche, elle aussi, s’est
rebellée contre lui. Son faisceau s’est éteint bien vite, comme la flamme
d’une bougie soufflée par le vent.
L’arme en bandoulière, le poing crispé, l’homme transpire des idées de
peur et de solitude. Des idées qui viennent jusqu’à nous et que nos êtres
accueillent simplement. Elles créent puis décréent des formes sur la route,
imaginent des ennemis embusqués derrière les enchevêtrements obscurs des
arbres. Ce sont presque celles d’un petit enfant qui se serait égaré la nuit au
fond de son jardin. Et, tout autour, il y a la pénétrante vie nocturne de la
jungle qui chante et qui chante…
« Mais oui…, murmure la voix du moine en se faufilant dans nos âmes…
il s’agit bien d’un enfant… Qui donc sur cette Terre est passé à l’âge
adulte ? Dès qu’une situation vous échappe, vous mettez en place des
scénarios de peur, de révolte, de chantage. Vous voulez faire pression sur la
Vie. “Vous voyez bien que Dieu n’existe pas… sinon cela ne se passerait
pas ainsi !” Combien de millions de fois cette plainte ne sort-elle pas des
poitrines humaines chaque jour ? Et en s’élevant de la sorte, elle cherche à
défier un dieu anthropomorphe dont elle veut provoquer de force la
réponse. “Vous voyez bien qu’Il n’existe pas ! Il autorise tant d’injustices !”
Mais la Force qu’on appelle “Dieu” ne répond jamais à la provocation.
Elle observe la brûlure que nous infligeons à notre âme et parfois à notre
chair. Elle l’observe et l’enveloppe de son Amour… jusqu’à ce que nous
grandissions. Elle attend que de chantage en chantage, de lassitude en
lassitude, nous comprenions de nous-même que l’on ne se rebelle pas contre
la Vie, que cela n’a pas de sens. Tout simplement parce que l’on s’épuise en
vain à vouloir affronter l’Insondable.
Cette Force que vous nommez “Dieu”, mes amis, est bien plus
qu’humaine, bien plus qu’angélique, bien plus enfin que tout ce que vous
pouvez imaginer. Elle ne répond pas à vos normes, à vos classifications et à
la logique de marchandage à laquelle vous êtes inconsciemment habitués.
Quel que soit votre obstacle, efforcez-vous de ne pas ressembler à cet
homme qui est parti en guerre contre le monde. Ne vous épuisez pas en
voulant dompter les événements comme si ceux-ci étaient des chevaux en
train de se cabrer. Les événements ne se dressent jamais contre vous. Ils se
présentent pour vous enseigner mille choses et c’est vous qui vous dressez
la plupart du temps contre eux. C’est vous et vous seuls qui imprimez à la

matière plus de lourdeur et de raideur qu’elle n’en a en réalité.
Ne pas s’épuiser est un idéal, voyez-vous, et vous devez l’atteindre, faute
de quoi votre volonté de grandir ne trouvera aucune force sur laquelle
s’appuyer.
– Parles-tu de l’épuisement moral ou physique ?
– Mais, des deux tout à la fois ! Si servir la Vie est votre but, comment
pouvez-vous penser encombrer ou abîmer les voies par lesquelles cette Vie
circule ? Ne vous y trompez pas, l’épuisement dans le Service est, plus
souvent qu’il n’y paraît, le fruit de l’orgueil. Un orgueil subtil certes, mais
qui porte bien l’estampille de l’ego. C’est toujours cette vieille notion de
sacrifice, d’ailleurs, qui entretient une telle réaction. N’est-il pas doux pour
la personnalité incarnée d’avoir la sensation de se sacrifier pour autrui ?
Peut-être me trouvez-vous une fois de plus trop abrupt, mais il faut savoir
ce que l’on veut cultiver en soi : le masque ou le coeur… Si quelque
constituant de votre être physique ou psychique vient à éprouver de la
fatigue ou de l’épuisement, acceptez avec humilité cet état de fait et
accordez-vous la possibilité de respirer pendant quelque temps sur un autre
mode. La matière de ce monde a ses lois qui ont leur raison d’être et leur
valeur. Il faut savoir les respecter.
Si, toutefois, fatigue et épuisement sont votre lot quotidien et que vous
aimez, dans votre for intérieur, que cela se sache, si vous prenez un étrange
plaisir à vous abîmer dans un service mortificateur, alors je vous le dis,
posez-vous quelques questions ! Avec un peu de lucidité, en remontant la
chaîne des causes et des effets, vous y trouverez nécessairement la présence
de votre “moi-je” qui trône quelque part… La solution ? Elle est simple.
Rire de tout cela… Rire de ce glaneur de bonne conscience, de cet
aspirateur à éloges qui ne dort que d’un oeil en chacun.
– Puisque l’ego se montre aussi rusé que cela, faudrait-il donc moins
oeuvrer afin de ne pas l’alimenter avec autant de zèle ? »
La lumière orange du drapé de notre compagnon se met soudain à nous
envelopper, comme si elle était devenue le prolongement direct de son
coeur. À travers elle, la réponse vient à nous avec une autre force, plus
persuasive, plus chaude.
« Mais qui vous parle de moins oeuvrer ? Il faut seulement apprendre à
oeuvrer différemment. La Source de toute Vie a davantage besoin d’hommes
d’action que de rhétoriqueurs, c’est un fait. Pourtant, sachez qu’un homme
de terrain ne doit pas nécessairement enfiler une tenue de Croisé. La Terre a
suffisamment engendré de ces soldats du Christ empêtrés dans leur propre
dualité ! N’allez pas grossir leurs rangs ! OEuvrez là où vous êtes, très
concrètement, en ne cultivant pas l’obstacle…

– Que veux-tu dire par là ?
– … Qu’il y a une façon de regarder les événements et les êtres qui en
fait des murs sur lesquels on se fracasse ou au contraire des pistes d’envol.
– Facile à dire… Frère, murmure l’un de nous en osant pour la première
fois ce qualificatif.
– Et pas si difficile à réaliser… pour qui a compris du fond de son âme
que la métamorphose est la loi de l’univers. Travailler à s’améliorer et à
améliorer le monde où l’on vit ne demande pas, je le répète, à ce que l’on
endosse une armure. Cela ne requiert pas de qualités exceptionnelles non
plus. C’est un apprentissage de la gestion de nos propres forces. Si vous
aimez réellement ce que vous dites aimer, vous oeuvrez avec joie et vous
jetez des ponts de Lumière dans toutes les directions. Dès lors vous réalisez
le fait qu’une telle joie est un aliment qui vous revient et vous nourrit.
Le soleil qui part du coeur, qui rejoint le regard puis s’en va au bout des
mains est grandement contagieux, n’en doutez pas. Il représente l’opposé
même de ce qui peut générer l’épuisement. Vous ne pouvez le faire se lever
en vous, si vous persistez à avoir quelque chose à prouver.
Regardez cet homme enfant qui marche devant nous dans la nuit. Son âme
n’exprime plus un mot. Elle est maintenant passée de la révolte au
découragement. Elle vit ce que chacun de nous expérimente lorsqu’il a mis
en mouvement un mécanisme qui l’entraîne au-delà de ce qu’il pensait.
C’est toujours nous qui avons rempli les coupes que nous buvons… et nous
les buvons toutes, Jusqu’à la dernière goutte, pour assimiler les leçons de
leur saveur.
Ainsi, quelles qu’en soient les origines, lassitude et découragement sontils
nos maîtres à leur façon. Ils nous dispensent une initiation. Lorsqu’ils
viennent nous visiter, la première chose est d’en recevoir l’évidente leçon,
la seconde est d’accepter celle-ci autrement qu’en idée. Comment ? En
essayant de repérer quelle partie de notre armure elle a entrepris de limer.
“De quelle écaille de ma petite personnalité ai-je donc besoin de me
débarrasser ?” Voilà la question qu’il convient de méditer dès que
l’épuisement et le découragement frappent à notre porte. Un inévitable “je
veux” se cache systématiquement dans la réponse, car c’est lui qui porte la
graine de nos tensions intérieures.
Croyez-moi, mes amis, ce ne sont plus les grands prêtres des temples qui
dispensent les initiations, mais les événements, les conséquences de vos
crampes mentales et de vos explosions émotionnelles. D’ailleurs… les
grands prêtres en question ont toujours beaucoup moins fait à ce propos
qu’on ne se plaît à l’imaginer de nos jours.
Votre initiateur, c’est vous-même, ou plutôt c’est la Vie qui s’offre à vous

avec la succession de vos égarements ! Que l’on ne me dise surtout pas
“oui, je le sais…” car savoir ne signifie rien. Un magnétophone sait répéter,
quant à vous, vous devez comprendre et créer… »
Devant nous, l’homme continue à marcher et, du monde entre les mondes
où nous l’observons, un étrange jeu de lumière nous est progressivement
révélé. De son corps un peu chétif qui tente d’éviter les ornières du chemin,
des fumerolles d’un rose tendre frangé de vert commencent à s’échapper.
Elles prennent naissance, semble-t-il, au creux de sa poitrine et dissolvent,
de-ci de-là, la masse des lueurs grises que son être émane encore. Et ces
clartés croissantes qui viennent des profondeurs de son âme ressemblent à
une fontaine. Elles le lavent. Elles l’habillent lentement d’une force
nouvelle. Nous en connaissons l’éclat et la valeur. Elles parlent d’amour et
d’amitié.
« Vous pouvez dire “d’amour”, tout simplement, intervient le moine qui, à
l’évidence, a lu une fois de plus dans nos pensées. Ce mot ne doit pas vous
faire peur, même s’il vous paraît surprenant par rapport à l’aura d’un être
habitué aux actions violentes et aux bains de sang. Il n’est pas une créature
dans la totalité des univers qui soit dépourvue d’un potentiel d’amour.
Si cet homme rayonne sous l’effet d’un tel sentiment en cet instant, c’est
précisément parce qu’il vient de recevoir une initiation. Une grande
initiation de la part de l’épuisement et du découragement, ses deux maîtres
du moment. Deux maîtres qui l’ont vidé de ses résistances mentales, de ses
réflexes émotionnels et de ses tensions physiques. Pour un instant peutêtre…
mais, cet instant restera toujours à la surface de son coeur comme un
bourgeon qui a éclos. Il demeurera. Il aura fait son oeuvre.
Cet homme, voyez-vous, éprouve un réel sentiment de compassion et
d’amour pour son compagnon mort à ses côtés tout à l’heure… Cela vous
paraît naturel, cependant, dans la force de l’heure, il vient seulement de s’en
apercevoir. Il apprend à le laisser évoluer en lui, afin de le comprendre.
– Mais quelle sorte de grâce l’a touché exactement, pour qu’il connaisse
un tel revirement ?
– La simple grâce de l’épuisement physique et moral, je vous l’ai dit…
C’est elle qui, régulièrement chez nous tous, parvient à dissoudre la
carapace des tensions. Parfois, elle permet à l’être d’explorer une
dimension nouvelle hors de son “moi-je” volontariste. Alors, c’est l’homme
véritable qui s’exprime et non pas le masque.
Dans le cas présent, il est bien sûr illusoire de parler de revirement.
Néanmoins, soyez certains que, pour lui, un coin du voile vient de se
soulever un peu plus. Un coin qui le surprend certainement en lui permettant
de cultiver quelques arpents de tendresse dans l’immense champ de son

âme.
Ses corps subtils, sa mémoire atomique, garderont trace de cet
événement. La dureté d’une conscience n’est jamais qu’une façade. Même si
elle vous semble de granit, toute recroquevillée sur ses ambitions et
petitesses, n’oubliez pas que l’érosion de la vie y accomplit son oeuvre.
Pour celle-ci le temps ne compte pas, parce qu’il n’existe pas. Au-delà des
préoccupations qui sont notre lot, la Mère Divine sait toujours exactement
où et comment attendrir l’âme de chacun de nous. Elle nous dégauchit
d’abord à coup de burin ou de ciseau ainsi que le ferait un sculpteur, puis
elle nous polit et nous polit encore jusqu’à nous rendre finalement
transparents.
– Nous concevons aisément tout ceci, faisons-nous, mais cette fonction
ultime de l’épuisement et de la lassitude qui érodent nos résistances, ne
s’oppose-t-elle pas au fait que tu aies précédemment banni ce même
épuisement ?
– Ne vous méprenez pas… Je n’ai fait que vous mettre en garde contre
une des manifestations subtiles de l’ego qui utilise la notion de Service
comme un tremplin pour se satisfaire. En fait, loin de moi l’idée de bannir
quoi que ce soit car tout concourt à initier… Et puis, je sais bien que les
discours de mille sages ne parviendront pas à mieux parler de l’eau que
l’expérience directe de la mer elle-même.
Mon dessein consiste simplement à vous dire quels enseignements
apportent la lassitude et l’épuisement. En réalité, par leur action, ce sont
des germes de mort initiatique qui s’immiscent en chacun. Lorsque la fatigue
et le découragement s’emparent de vous, ayez la volonté de vous poser ces
questions : “Quel enseignement cet état cherche-t-il à m’offrir ? Qu’ai-je
fait, qu’ai-je pensé au juste ? Ai-je trop donné, ai-je mal donné ?”
– Penses-tu que l’on puisse trop donner ? »
L’être au drapé safran nous regarde un instant d’un oeil malicieux puis
poursuit sans plus attendre :
« Tout dépend de la nature de ce que l’on donne… S’il s’agit d’Amour,
en effet, on ne donne jamais trop, car l’Amour ne se mesure pas au comptegouttes.
Il est total et infini ou n’est pas… Cependant, ce même Amour,
lorsqu’il se montre accompli et limpide, sait très bien aussi qu’il importe de
ne pas donner anarchiquement. Un don se doit d’être constructif, faute de
quoi il n’en est pas un. La fermeté, voire la sévérité, peuvent ainsi être des
formes de don.
L’Amour réalisé n’est jamais faiblesse, voilà pourquoi il ne présuppose
pas l’acceptation passive de toutes les situations et de toutes les attitudes. Il
tente toujours de mettre en place une réponse appropriée et enseignante.

Que diriez-vous d’un homme ou d’une femme qui affirmerait “j’aime mes
enfants” et qui les laisserait gérer inconsidérément leur vie en ne corrigeant
pas leurs attitudes erronées ou en leur offrant en surabondance ce qu’ils ont
besoin d’acquérir par leur propre mérite ?
Maintenant, dites-vous bien ceci : aux yeux de la Force Éternelle, nous
sommes tous les pères, les mères et les enfants les uns des autres. Nous
avons tous la responsabilité de la floraison de l’Univers et de chacun de ses
habitants. Nous sommes tous, pour l’éternité des temps, des co-initiateurs
de l’Amour. Si nous ne savons jamais sous quel visage cette initiation
accomplit son oeuvre, nous devons sans tarder prendre conscience qu’elle
est constamment présente, tout aussi bien dans une banlieue de “mégapolis”
que dans un sanctuaire naturel ou encore dans un temple himalayen.
Pour s’en apercevoir, il suffit de vouloir apprendre à accorder son
oreille à ses différents langages. Vouloir apprendre… tout est là ! Vouloir
écouter, vouloir déchiffrer, vouloir aimer… »
À une centaine de mètres devant nous, une faible lueur apparaît à travers
la masse des arbres. L’homme aussi l’a aperçue et presse son avance. C’est
le hameau au bord des rizières avec son feu de camp et ses maisons sur
pilotis. Sa seule vue semble avoir pour effet immédiat de ternir l’aura du
marcheur. Ses belles fumerolles roses et vertes se sont évanouies, comme
avalées par un coeur qui s’est soudainement recroquevillé…
« Dommage… », aurions-nous envie de dire. Mais, plus présent que toutes
les pensées qui nous traversent, le chant des grenouilles vient à nouveau
caresser nos âmes à mesure que celles-ci se rapprochent de l’eau.
À l’entrée du hameau, près de la silhouette élégante d’un bananier, une
forme lourde et sombre remue un instant, s’agite puis se dresse. C’est celle,
impressionnante et silencieuse, d’un buffle troublé dans son sommeil.
L’homme qui continue de marcher n’y prend pas même garde. Nous le
sentons à nouveau happé par le village, avec ses problèmes et par son
compagnon encore sans doute étendu là-bas quelque part sous une
habitation. Et puis, il y a toujours ce projet, à l’aube… les armes à la
frontière… et ce camion qui ne veut plus rien savoir…
« Oui… murmure le moine avec une infinie douceur dans la voix, c’est
ainsi que nous fonctionnons encore sur cette Terre… De temps à autre, un
instant de grâce au milieu d’un brouillard de la conscience. Un îlot, de-ci
de-là au milieu de l’océan…
Et c’est pour que cet îlot devienne continent, pour que cet instant s’étende
à l’éternité, que nous naissons, mourons et renaissons. Lorsque nous
commençons à comprendre cela c’est que nous sommes prêts, enfin, à
participer consciemment à la plus belle histoire d’Amour qui soit. Cette

charnière peut se vivre difficilement, je le sais, mais lorsque l’on a connu
tant de vies derrière une armure, lorsque celle-ci se rouille et que l’on ne se
souvient même plus de la couleur de notre être sous elle… alors, il est bien
temps d’agir pour ne pas suffoquer, n’est-ce pas ?
Maintenant, écoutez bien ceci. Au temps de ma jeunesse, il y avait dans
un village non loin de Phnom-Penh, une petite pagode où j’aimais me rendre
en raison de la paix qui y régnait. Vint un jour où le moine qui en avait la
charge et qui était très âgé ne parvint plus à se lever de son lit pour en
assurer les offices. Comme mes fréquentes visites avaient fait de moi son
ami, le vieillard, que je sentais de semaine en semaine plus tourmenté,
m’ouvrit enfin son coeur. “C’est terrible et étrange, me dit-il. Toute ma vie,
je n’ai fait qu’entretenir ce temple et prier afin de communier avec la
Création divine. Chaque jour, j’ai passé des heures à réciter les anciens
textes et à psalmodier les paroles sacrées. J’ai toujours pensé faire naître
ainsi la Lumière dans le coeur de ceux qui venaient faire leurs offrandes
d’encens et de fleurs et apprendre moi-même l’unité avec la Nature. Je
crois que je m’y suis épuisé et maintenant que je n’y vois presque plus, je
suis obsédé par cette communion avec le Tout que je n’ai su réaliser. Je n’ai
toujours pas la paix et les fidèles ne viennent plus au temple.”
“Mais pourquoi serait-ce si terrible ? dis-je. Ton histoire est simple et tu
m’as souvent répété que le chemin vers l’Accomplissement est bien long…”
Alors, le vieil homme poussa un soupir et ajouta :
“Vois-tu, depuis quelques semaines j’observe par ma fenêtre un jeune
garçon dont je n’ai plus voulu au service de la Pagode. Je l’ai renvoyé le
jour où je me suis aperçu qu’il faisait mine de réciter les prières sacrées
plutôt que de les apprendre.
Désormais, tous les matins, il passe plusieurs heures sous le flamboyant.
Il tresse des colliers de fleurs pour les statues… et voilà que les écureuils
viennent jouer autour de lui et se laissent caresser par ses mains. Ce dont
j’ai toujours rêvé dans mes méditations, il l’a réalisé… et, faisant ainsi, il
attire plus de monde autour de ses fleurs que je n’ai jamais pu le faire dans
le temple. Il accomplit sa part de service. N’est-ce pas une terrible leçon
pour moi ?” »
Sur ces quelques mots, notre compagnon suspend son récit et ne dit plus
rien. Intuitivement, nous devinons qu’un sourire intérieur le gagne peu à peu,
un sourire plus bavard que mille conclusions.
Enfin sa voix emplit à nouveau l’espace de nos consciences.
« Mes amis, voici quelque chose d’enfantin. C’est une sorte de baume
pour l’âme qui est lasse ou qui se laisse frôler par le découragement.

En silence, tenez-vous assis dans la position du méditant. Votre main
gauche repose sur le sol tandis que la droite, sur votre genou, est tournée
paume vers le ciel.
Faites maintenant taire tout désir. Vivez une douce attente, un repos, et
percevez-vous seulement comme un point de rencontre. Vous devenez ce
lieu où les Forces de l’Univers se rejoignent. Laissez-les respirer en vous.
En fusionnant, elles s’appliquent à laver vos cellules.
Très paisiblement, vous placez enfin vos mains, la droite sur la gauche,
au creux de votre poitrine, là où siègent vos anciennes mémoires. Laissezles
agir d’elles-mêmes, ces mains. Sans rien désirer, sans mesurer votre
temps. Ce sera tout… Oh, encore une chose pourtant… N’oubliez pas de
remercier Ce qui est venu vous visiter ! »
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