Communication avec l’intention


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Il me dit que nous ne savions pas, nous, les hommes ordinaires, et que nous ne saurions jamais, que c’est une chose tout à fait réelle et fonctionnelle – notre lien de communication avec l’intention – qui suscitait notre préoccupation héréditaire à propos du destin.
 
Il m’affirma que, durant nos vies actives, nous n’avons jamais l’occasion de dépasser le niveau de la simple préoccupation, parce que depuis des temps immémoriaux les affaires quotidiennes nous ont assoupis comme une berceuse. 
 
C’est seulement quand nos vies sont presque à leur terme que notre préoccupation héréditaire à propos du destin commence à prendre une tournure différente.
 
Elle commence à nous faire traverser le brouillard des affaires quotidiennes.
 
Malheureusement, cet éveil est toujours étroitement accompagné par la perte d’énergie due à l’âge, au moment où nous n’avons plus de force pour transformer notre préoccupation en une découverte pragmatique et positive. 
 
Alors, tout ce qui reste est une angoisse amorphe, glaciale, un désir de quelque chose d’indescriptible, et une simple colère de ne l’avoir pas obtenu.
 
« Beaucoup de raisons me font aimer les poèmes, dit-il. L’une d’elles est qu’ils saisissent l’humeur des guerriers et expliquent ce qui peut à peine être expliqué. »
Il reconnut que les poètes étaient profondément conscients de notre lien de communication avec l’esprit, mais qu’ils en étaient conscients intuitivement, et non délibérément et pragmatiquement comme les sorciers.
 
« Les poètes n’ont pas une connaissance directe de l’esprit, poursuivit-il.
 
C’est pourquoi leurs poèmes ne peuvent pas vraiment toucher le coeur de véritables gestes pour l’esprit. Mais ils en arrivent très près.
 
Il prit un de ses livres de poésie sur une chaise à côté de lui.
 
C’était un recueil de Juan Ramon Jimenez.
 
Il l’ouvrit à la page marquée par un signet, me le tendit et me fit signe de lire.
 
Est-ce moi qui marche ce soir dans ma chambre ou est-ce le mendiant qui rôdait dans mon jardin.
à la tombée du jour ?
Je regarde autour de moi et trouve que tout est semblable et ne l’est pas…
La fenêtre était-elle ouverte 

Ne m’étais-je pas déjà endormi 

Le jardin n’était-il pas vert pâle ?…

Le ciel était bleu et clair…

Et il y a des nuages et il fait du vent et le jardin est sombre et mélancolique.
 
Je crois que mes cheveux étaient noirs…
J’étais vêtu de gris…
Et mes cheveux sont gris et je suis vêtu de noir…
 
Est-ce là ma démarche ?
Cette voix qui maintenant résonne en moi,
porte-t-elle les rythmes de la voix qui était la mienne ?
Suis-je moi-même ou suis-je le mendiant
 
qui rôdait dans mon jardin à la tombée du jour ?
 
Je regarde autour de moi…
Il y a des nuages et il fait du vent…
Le jardin est sombre et mélancolique…
 
Je vais et je viens… N’est-il pas vrai que je m’étais déjà endormi ?

Mes cheveux sont gris…

Et tout est semblable et ne l’est pas…