LE CHEMIN DU GUERRIER


Le thème central de ses propos cette nuit là était que l’Univers dans sa grande totalité est femelle et de nature prédatrice, et que s’y livre une bataille tenace pour la conscience où, comme toujours le plus fort absorbait le plus faible.

« Sauf qu’à l’échelle cosmique, la forteresse d’un être ne se mesure pas à ses dimensions physiques mais à ses capacités de manipuler la conscience.

En conséquence, si nous devons faire un nouveau pas dans l’évolution, ce doit être par le biais de la discipline, de la détermination et de la stratégie. Ce sont là nos armes.

« Par leur capacité de ‘voir’, les sorciers témoignent de cet affrontement et y prennent place, préparés au pire sans s’attendre à des résultats.

« Un guerrier considère que le monde dans lequel nous vivons est un grand mystère, et ce mystère existe pour être dévoilé par ceux qui le cherchent délibérément.

 

Cette attitude audacieuse transforme en occasion les tentacules de l’inconnu, permettant que l’Esprit se manifeste.

Il nous expliqua que l’audace du guerrier naît de son contact avec sa mort imminente.

Il nous raconta l’histoire d’une jeune femme qui arriva un jour au bureau de son éditeur, déposa un tabouret sur le sol, s’assit et lui dit : « Je ne sortirai pas d’ici tant que je n’aurai pas parlé à Carlos Castaneda ! «

Toutes les intentions pour la dissuader de son entêtement furent inutiles : la jeune femme restait inflexible. C’est alors que l’éditeur appela Carlos par téléphone et l’avisa qu’une vieille folle exigeait sa présence.

«Que pouvais-je faire ? Je me présentai à elle et je lui demandai le pourquoi de son étrange conduite. Elle me répondit que, étant mortellement malade, elle avait été dans le désert pour y mourir. Cependant, alors qu’elle méditait dans la solitude, elle comprit qu’elle n’était pas encore totalement finie et elle décida de jouer sa dernière carte. Cela signifiait pour elle de connaître le nagual en personne.

« Impressionné par son récit, je lui fis une unique proposition…tout laisser tomber et entrer dans le monde des sorciers ! Elle me répondit : « Je joue !»

 

Quand j’entendis sa réponse, j’eus la chair de poule, parce que c’était exactement la même chose que me disait Don Juan « Si tu veux jouer, allons-y ! Mais nous jouons jusqu’à la mort «.

Tel est le sentiment du sorcier face à son destin : « J’ai mis toute ma vie dans cette intention, rien d’autre. Je sais que ma fin m’attend quelque part et qu’il n’y a rien que je puisse faire pour l’éviter. Tant que va mon chemin en confiance, j’accepte la responsabilité de vivre pleinement ; je risque le tout pour le tout «.

« Un guerrier sait que rien ne lui garantit de triompher face à la mort.

Mais il livre la bataille quand même, non pas parce qu’il croit qu’il va gagner, mais pour l’émotion que confère la guerre elle-même. Pour lui, livrer la bataille est déjà une victoire. Et en même temps la lutte le ravit, parce que pour celui qui est déjà mort, chaque seconde de vie est un cadeau.

« Il poursuivit en disant que notre attention, et celle de tous nos semblables, est ce qui rend possible que le monde existe tel que nous le percevons, un monde à la fois traduit et enchaîné dans un réseau d’interprétations dont la forteresse est d’être d’accord.

Un des participants lui demanda d’éclaircir ce point. Il expliqua :

« Voyez comme la maîtrise de l’attention est d’une suprême importance sur le chemin des guerriers, car elle est la matière première de la création.

Dans tous les mondes, les degrés d’évolution se mesurent à la capacité de ‘réaliser’, d’être conscient.

« Dans le but de manipuler et de comprendre les émanations qui parviennent à nos sens, les sorciers développent le pouvoir de leur attention, l’aiguisant au travers de la discipline jusqu’à des niveaux exquis qui leur permettent de transcender les limitations humaines et de consommer toutes les possibilités de la perception.

 

Leur concentration est tellement intense, qu’ils peuvent perforer la carcasse épaisse des apparences, délivrant l’essence même des choses.

Voir ‘ est ce degré de conscience accrue pour les voyants.

« Alors que pour les yeux des autres, la fixation de l’attention peut se manifester comme de l’obsession, de l’entêtement ou du fanatisme, pour le pratiquant il ne s’agit que de discipline.

Il nous avertit que nous confondions la discipline des guerriers avec les schémas répétitifs des gens.

« La discipline, dans le sens où l’entend un guerrier, est créative, ouverte et produit de la liberté. C’est la capacité de se confronter avec l’inconnu, transformant la sensation de savoir en amusement respectueux ; de planifier des objectifs qui dépassent les limites de nos habitudes et d’avoir l’audace de faire face à l’unique guerre qui en vaille la peine : celle de la connaissance.

 

La discipline est l’atout pour accepter les conséquences de nos actions, quelles qu’elles soient, sans sentiments de compassion ou de faute.

« Avoir de la discipline est la clé du maniement de l’attention, parce qu’elle nous conduit à la volonté. Et celle-ci nous permet de modifier le monde jusqu’à ce qu’il soit comme nous le voulons et non comme il nous fut imposé de l’extérieur.

 

Pour cette raison, la volonté est pour les guerriers l’antichambre de l’intention. Son pouvoir est tellement grand que si elle est focalisée sur un objectif, elle produit les plus merveilleux effets. 

Pour l’illustrer par un exemple, il nous raconta diverses histoires d’événements extraordinaires dont il affirmait avoir été le témoin. Il soutenait que en toile de fond de chacune des puissantes actions des sorciers, il y avait une vie entière de discipline, de sobriété, de détachement et de capacité d’analyse. De tels attributs, les plus appréciés chez un guerrier, constituaient dans leur ensemble une état d’être qu’ils nommaient « impeccabilité «.

L’impeccabilité n’a rien à voir avec une attitude mentale, une croyance morale ou quelque chose du genre. C’est la conséquence de l’économie d’énergie.

« Un guerrier accepte avec humilité ce qu’il est et ne perd pas son pouvoir en se lamentant que les choses n’aient pas été autrement. Si une porte est fermée, on ne la casse pas à coups de pieds et coups de poings ! On examine avec attention la serrure et on cherche comment l’ouvrir. De la même façon, si sa vie n’est pas satisfaisante, le guerrier ne s’offense ni se plaint.

Au contraire, il projette des stratégies pour changer le cours de son destin.

« Si nous apprenons à réduire notre apitoiement et qu’en même temps, nous faisons une place au ‘soi’ authentique, nous serons guidés par l’intention cosmique et nous deviendrons des conduits pour des torrents d’énergie.

« Pour fluctuer de cette façon, nous devons apprendre à faire confiance à nos ressources et comprendre que nous sommes nés avec tout ce qui est nécessaire pour l’aventure extravagante de notre vie.

En tant que guerrier, chaque homme ou femme qui entreprend de suivre les chemins de la sorcellerie sait qu’il ou elle est responsable de soi-même. Il ne cherche pas autour de lui l’approbation et ne se décharge pas sur d’autres de ses propres frustrations.

«Don Juan me disait :’ Ce que tu cherches est en toi-même. Lutte pour que tes actions atteignent leur but et brillent de leur propre clarté.

Prends ta décision avant qu’il ne soit trop tard ! «

« L’aspect de l’impeccabilité qui concerne le plus notre vie quotidienne est de savoir jusqu’où l’exercice de notre liberté affecte les autres afin d’éviter les chocs à tout prix.

A l’occasion, nos relations avec les autres génèrent des frictions et des expectatives.

Un sorcier sur le pied de guerre prend garde à ces chocs et se convertit en chasseur de signes. Et s’il n’y a pas de signes, il n’interfère pas avec les gens ; il se borne à attendre, parce que bien qu’il n’ait pas le temps, il a toute la patience du monde. Il connaît trop l’enjeu pour ne pas être disposé à tout ruiner par un faux pas.

« Ne cultivant pas le désespoir de ne rencontrer personne avec qui traiter, le guerrier peut choisir ses affections avec sobriété et détachement, attentif à tout moment aux personnes avec lesquelles il échange pour qu’elles soient compatibles avec son énergie.

Le secret pour avoir une vision claire consiste à s’identifier et à ne pas s’identifier.

Le sorcier s’identifie avec l’abstrait, pas avec le monde .

Cela lui permet d’être indépendant et de prendre soin de lui , tout seul.

Ensuite, il nous raconta une histoire à propos d’un type qui se considérait comme un grand guerrier, mais à chaque fois qu’il y avait des problèmes à la maison ou que son épouse ne lavait pas ses vêtements ou ne lui préparait pas le repas, il se confondait avec le chaos. Après avoir lutté longtemps avec cette situation, cet homme décida d’apporter un changement radical
dans sa vie ; mais au lieu de réformer son caractère, comme il aurait dû, il changea d’épouse.

« Rendez-vous compte que vous êtes seul, face à votre destin.

Prenez votre vie en mains.

Un guerrier peaufine les détails, développe son imagination et met à l’épreuve son génie pour résoudre toute situation. Il est inconcevable qu’il se sente incapable, parce qu’il est maître de lui et n’a besoin de rien ni de personne.

En se concentrant sur les détails, il apprend à cultiver la finesse, la subtilité et l’élégance.

« Don Vicente Medrano disait que la beauté de cette lutte se voit dans des points invisibles. C’est la ‘marque de fabrique ‘ du sorcier, le couronnement de l’intention.

« Le don de l’indépendance et de la maîtrise des détails produisent la capacité de persister là où d’autres personnes auraient renoncé. Arrivé à un tel point, le guerrier n’est plus qu’à un pas de l’impeccabilité.

« L’impeccabilité naît d’un équilibre délicat entre notre être intérieur et les forces du monde extérieur. C’est là un achèvement qui requiert du temps, de l’effort, du dévouement et d’être attentif en permanence à l’objectif final, pour que celui-ci ne soit pas perdu.

Mais, par dessus tout, cela requiert de l’endurance. L’endurance met en déroute l’apathie, c’est aussi simple que cela.

« Le seuil de la magie est une intention soutenue au-delà de ce qui paraît possible, désirable ou raisonnable. C’est une pirouette mentale, une syntonie avec la volonté des émanations de l’Aigle qui permet que son commandement fluidifie la rigidité de nos limites.

 

Cependant, peu sont vraiment prêts à payer un tel prix et à faire le surplus du chemin nécessaire «.

Il confessa qu’en diverses occasions, lui-même fut sur le point d’abandonner son maître, oppressé par l’immensité de la tâche qu’il avait entreprise. Ce qui le sauva, fut ce qu’il qualifia de second souffle, une onde d’énergie que le guerrier trouve en lui-même alors que tout semble perdu.

« Beaucoup d’apprentis, après avoir cherché pendant des années et n’ayant rien trouvé pour satisfaire leurs espérances, se retirent déçus, sans savoir que peut-être ils se trouvaient à un pas de leur but. «

Il secoua la tête et commenta avec tristesse : « une fois que l’on a accumulé de la souplesse, la sensation d’indépendance, le contrôle de tous les détails et l’endurance, un guerrier en quête d’impeccabilité sait qu’il compte sur le pouvoir de sa décision.

Il est libre de faire ou de ne pas faire, selon ce qui lui convient et rien ne peut l’obliger à rien.

A partir de ce moment, il a besoin, plus que tout, d’être le maître de ses émotions et de son esprit afin que la clarté liée au pouvoir forment un mélange explosif qui donnent à l’homme une
facilité à accomplir des actes téméraires.

« Le chemin du guerrier est celui de l’économie d’énergie, tout ce qui va à l’encontre de cela est incompatible avec son intention d’être impeccable.

Cependant, parfois, à cause des excédents de pouvoir qui se sont accumulés dans sa luminosité, les circonstances peuvent se tourner particulièrement dures avec lui.

«Son dilemme est le même que celui d’un pilote de deltaplane qui a monté pendant des heures la pente d’une montagne chargé de son pesant équipement et qui se rend compte que les conditions climatiques ne sont pas les plus appropriées pour un vol.

En de telles circonstances, il est plus facile pour l’athlète de se décider à sauter que de rester à terre. S’il n’a pas appris à contrôler adéquatement ses décisions, le plus probable est qu’il
sautera au risque de mourir.

« De la même façon, parfois, l’apprenti oublie que l’objectif n’est pas d’être en conformité avec son ego mais d’accéder à des situations plus fortes que lui.

Et cela non seulement, peut lui être fatal, mais encore constitue une grave indiscipline qui le disperse dans les labyrinthes du pouvoir. Dans ce cas, le pouvoir se convertit en son propre bourreau.

« Un guerrier de la connaissance ne se livre pas à l’émotion de la guerre sans raison. Premièrement il observe les conditions, évalue ses possibilités et établit des points d’appui, et seulement ensuite, en fonction de cette évaluation, il se lance ou se retire sans la moindre hésitation. Il ne s’agit pas de donner des coups à l’aveuglette, mais de transformer chaque pas en un exercice immaculé de stratégie.

« L’apprenti qui n’apprend pas à temps à décider comment, quand et avec qui il va entrer en bataille est écarté. Soit parce que quelqu’un l’aura tué, soit parce qu’il aura été mis en déroute tant de fois, qu’il ne pourra plus se relever.

« Le défi ultime du guerrier est d’équilibrer tous les attributs de son chemin. Une fois qu’il y parvient, son but devient inflexible. Il ne se meut déjà plus pour un quelconque intérêt désespéré de gain.

Il est le maître de la volonté et peut la mettre à son service personnel ; S’il parvient à ce stade, le guerrier a appris à être impeccable et tout dépend de ses réserves d’énergie pour qu’il le reste. 

Il prit comme exemple l’apprenti qui utilise ses récents pouvoirs pour devenir riche. Il arrive alors à une bifurcation, soit il tombe dans le ‘ je veux ceci, je veux cela ‘, soit il cultive l’intention. Si il choisit la première option, il est parvenu à la fin de son chemin, parce que peu importe les quantités d’énergie dont il dispose, les anneaux de l’ego ne seront jamais satisfaits. Par contre, avec la seconde option, il a choisi le chemin de la liberté.

« L’intention est la symbiose de notre attention avec la conscience cosmique, laquelle transforme nos volitions en commandements de l’Aigle. Il faut être audacieux de s’y essayer de façon délibérée, mais une fois que nous y parvenons, tout est possible. L’intention permet aux sorciers de vivre dans un monde non-ordinaire et de s’offrir un destin de liberté.

 

Pour eux, la liberté est un fait et non une utopie.

« Dû au fait qu’il ne connait pas les principes du chemin du guerrier, l’homme moderne s’est rendu prisonnier d’un piège démoniaque, composé d’intérêts familiaux, religieux et sociaux. Il travaille huit heures par jour pour maintenir son système de vie en fonctionnement. Ensuite, il retourne à la maison, où l’attendent son épouse de toujours et ses enfants identiques à des milliards d’autres qui lui demanderont les mêmes choses, l’obligeant à proroger la chaîne, jusqu’à ce que ses forces se tarissent et qu’il se convertisse en un objet inutile qui rumine ses mémoires dans un coin de la maison. Ils lui ont dit que c’était ça le bonheur, mais il ne se sent pas heureux, il se sent piégé.

« Soyez des guerriers, cessez cela ! rendez-vous compte de vos potentialités et libérez-vous de tout cela ! Ne vous posez pas de limites.

Si vous pouvez violer la loi de la gravité et voler, tant mieux !

Et s’il vous reste encore de l’énergie pour défier la mort et acheter le ticket pour l’éternité, alors c’est magnifique !

« Risquez le tout pour le tout ! Quittez le piège de l’auto contemplation et tentez de percevoir tout ce qui est humainement possible !

Un guerrier de la connaissance n’accepte pas de compromis, parce que l’objet de sa lutte est la liberté totale. «