Comme base pour le silence mental, Carlos me suggéra de lutter contre ce qu’il appelait ma « condition domestique «, c’est-à-dire, mon appartenance à un milieu social. Il mentionnait là, disait-il, un premier pas vers la liberté.
« Poser le tissu du jugement sur nos interactions signifie analyser à nouveau une montagne de choses que nous avons toujours considérées comme allant de soi, en commençant par notre rôle sexuel et en terminant par les engagements familiaux, religieux et civiques que nous avons contracté par habitude. Il ne s’agit pas de juger ni de tromper quoi ou qui que ce soit .
Observer, a en soi-même un effet considérable sur les choses.
Je lui demandai qu’il m’expliquât comment l’acte passif d’être témoin pouvait modifier les choses.
Il me répondit que l’attention, aussi ténue qu’elle puisse être, n’est jamais passive, parce qu’elle est faite de la même matière qui forme l’Univers.
Le seul acte de l’exercer implique un transfert d’énergie.
« Tout comme la vitesse appliquée à un objet lui ajoute de la masse, de la même façon la focalisation de l’attention ajoute de la réalité aux choses et cette réalité a une limite, au-delà de laquelle le monde que nous connaissons se désintègre.
« Le secret des prodiges des sorciers réside dans la canalisation de l’attention. Peu importe comment ils l’appliquent, que ce soit pour le bien ou le mal, ce qui change est l’intention, et non pas la force de la focalisation.
Pour les nouveaux voyants, la magie de la sorcellerie n’est pas dans ses résultats, mais dans ses modes d’accès.
Ainsi, ta meilleure intention en tant qu’apprenti est de faire taire ton mental.
Lorsque je revins le voir, je lui confessai que, bien que j’ai consacré beaucoup de temps à suivre son conseil, je ne percevais aucun avancement substantiel dans ma lutte pour parvenir au silence intérieur.
Au contraire, j’avais constaté que mes pensées étaient plus agitées et plus confuses que jamais.
Il m’expliqua que cette sensation est une conséquence naturelle de la mise en pratique.
« Comme tout débutant, tu tentes de classifier le silence comme un élément supplémentaire de ton inventaire de croyances.
« L’objectif de ton inventaire fut de te rendre conscient du poids que sont nos a préjugés.
Nous utilisons presque toute notre énergie disponible pour soutenir un schéma du monde, et nous y parvenons au travers de suggestions conscientes ou inconscientes.
« Lorsqu’un apprenti se libère de cette prison, la sensation qui en découle est qu’il lui semble être tombé dans un océan de paix et de silence.
Peu importe que tu parles, que tu chantes, pleures ou médites, cette sensation est permanente.
« Il est très difficile, au début du chemin, d’envisager le silence comme pratique, vu que lorsque nous détectons l’absence de pensées, surgit une petite voix de traverse qui nous félicité du succès. Et ceci casse immédiatement l’état.
« Le problème existe parce que l’on confond l’objectif des sorciers avec un idéal.
Le concept de « silence « est trop mince pour un mental comme le tien, vrillé comme il est à faire des classifications. Il est clair que l’on t’a expliqué le silence en termes auditifs, comme un absence de bruit. Mais ce n’est pas cela.
« Ce que les sorciers veulent est beaucoup plus simple. Ils cherchent à résister aux suggestions, et c’est tout. Si tu réussi à te rendre maître de ton mental et que tu penses avec justesse, sans a priori ni fausses convictions, tu seras capable d’annuler la partie domestique de ta nature, un suprême achèvement.
Sinon, tu ne comprendras même pas en quoi consiste l’exercice.
« Une fois que nous apprenons à les contourner, sans nous appesantir sur elles ni leur prêter aucun type d’attention, les commandes du mental restent à l’intérieur un certain temps puis disparaissent.
Ainsi il ne s’agit pas de les « extirper « de là, mais plutôt de les tuer d’ennui.
« Pour atteindre ce stade, tu dois secouer ton inventaire d’idées.
Je t’ai demandé que tu commences par tes croyances, mais cela aurait été pareil pour une liste de relations et d’affects, pour les éléments plus parlants de ton histoire personnelle, pour tes espoirs, tes objectifs et préoccupations, ou tes goûts, préférences ou aversions.
Il est important que tu prennes conscience de tes schémas de pensées.
« La magie de tout inventaire se base sur l’ordre de ses composantes. Quand nous secouons cet ordre, quand il lui manque une des pièces que nous lui avons attribué, tout le schéma commence à se démanteler.
Il en ira de la même façon pour les routines du mental, change un seul paramètre, et rapidement il y aura une porte ouverte là où il y avait un mur; et cela change tout. Le mental est ébranlé.
« C’est cela, cette activation extraordinaire de ton dialogue intérieur dont tu es en train de faire l’expérience.
Avant tu ne t’en rendais pas compte, maintenant tu sais que c’est là. Un jour, cette présence sera tant pesante que tu feras quelque chose pour y remédier .
Ce jour-là, tu cesseras d’être un homme ordinaire et tu deviendras un sorcier. «