2 – Le réveil immobile


De sa main engourdit, elle appui d’un coup sec et rapide sur son réveil, le bruit s’arrête, elle cherche en vain le silence mais un bruit sourd qui vient de la pièce d’à côté la met tout de suite dans le bain.

C’est le bruit de la télévision qui veille jour et nuit sur l’appartement telle une lumière qui accompagnent les êtres de ce territoire de quelques pièces. Rien ne se fait sans elle, tout se passe à travers elle.

Au bout de trois ans de vie commune, elle n’a toujours pas pu s’y faire, bien au contraire, tout dans cette machine l’horripile, surtout quand elle voit l’effet destructeur qu’elle a sur les plus petit.

Dans cette famille, mis à part la télé qui a bien sur la part la plus belle, il y a deux enfants naturels et trois enfants recueillis en famille d’accueil.

Elle s’assoit doucement sur la table de la cuisine, le regard étain, vidé, devant le bourdonnement lumineux qui se trouve dans le prolongement au fond de la deuxième salle faisant office de salle à manger, euh plutôt de salle de télé…

Toute la famille est là devant le grand écran, tous discutent de ce qu’ils voient, personne ne remarque Douce derrière.

Elle se prépare un thé, puis prend quelques madeleines.

Un des enfants, le plus petit, se retourne et la voit, il lui lance un grand sourire et immédiatement il vient la rejoindre.

Assis à côté d’elle, il lui murmure :

– Alors sœurette, bien dormit.

– Çà va mon chou et toi aussi.

– Oui nickel.

– Qu’est-ce que tu comptes faire pour ton premier jour de grande vacance.

– Ch ’ai pas, pt‘être allez voir le zoo.

D’un coup, le chef de famille qui vient de se rendre compte de l’absence du plus petit se retourne et voit Douce en train discuté avec John et lui dit :

– Salut ma belle, t’as bien ronflé ?

– Mais Paul je ne ronfle pas moi.

– Ouais c’est ça, tout le monde ronfle mais personne le sait, de toute façon j’ai vu un reportage à la télé qui disait que des tests scientifiques le prouvent.

– Si tu crois tout ce que dis la télé t’es mal barré.

– Ouais, toi toute façon tu crois à rien, rien t’intéresse sauf peut-être tes livres, qu’elle idée de lire encore de nos jours alors qu’on a toutes les informations sans effort !

– Sans effort, c’est bien ça le problème.

– Ouais c’est ça laisse tomber, tu comprendras jamais rien, t’en fait toujours à ta tête…

La plupart des enfants autour du père reprirent de concert tout en se pliant de rire en tous sens :

– Tu comprends jamais rien, t’en fait toujours qu’à ta tête, Ouais c’est ça Douce, t’en fait toujours qu’à ta tête !

Dépiter par tant d’incompréhension elle baisse hâtivement les yeux et mange goulûment sa madeleine.

John vit sa sœur d’adoption se recroquevillé dans son monde, il lui mit le bras derrières elle chaleureusement et lui dit doucement :

– T’inquiètent sœurette ils ne vivent pas dans le même monde !

– Tu l’as dit bouffit. Merci mon chéri. Heureusement que tu es là toi, t’es bien le seul à me comprendre.

– Allez va, moi je vais faire semblant d’appartenir à leur monde fait d’écran interposé.

Avec un grand sourire il lui fit un énorme bisou sur le front et rejoignit la horde sauvage.

Elle finit de boire son thé, puis alla faire la vaisselle qui était resté d’hier soir puis elle se rassit sur la table exténué de n’avoir pas commencé encore sa folle journée.

Puis d’un coup, l’air vague, elle se mit à discerner clairement dans son esprit, deux films qui se mit à se dérouler en même temps, étrangement elle put se focaliser soit sur l’un soit même sur les deux à la fois.

Le premier, elle se voit partir de sa famille pour retrouver son père…

L’autre, elle s’observe dans une séquence identique au passé, faisant chaque jour les mêmes gestes, les mêmes actions, sorte de boucle incessante.

L’un l’attire énormément, l’autre le repousse insidieusement, mais dans les deux cas, elle ne s’y retrouve toujours pas.

Pourtant la possibilité qu’elle aimerait vraiment lui fait trop peur, alors que l’autre la sécurise.

Dans cette superposition, elle ne se rencontre ni dans l’un ni dans l’autre, ni même dans les deux à la fois. Elle ne sait plus quoi être, qui être, être pour quoi…

Dans cette présence d’absence, le silence émerge, attirant ainsi un nouveau commencement, puis dans sa tête les images éphémères s’effacent peu à peu.

Seul avec elle-même, devant l’immensité de ne plus rien être, de ne plus rien entendre, de ne plus rien voir, elle se sent tomber dans le choix, le non-choix…

Une larme doucement apparut et se mit à couler sur sa joue de diamant, son regard s’éclaira, toute la pièce s’illumina comme si le soleil avait transpercé d’un coup toute la matière qui se trouvait dans l’espace de cette pièce.

Un sourire infini apparu sur son visage, elle savait maintenant…