1 – Douce merveille


Une forêt de béton armé où à perte de vue le gris morne et sombre s’exalte en tout sens, pas un bruit, le ciel éteint enlace ce tableau d’hécatombe, le monde dort dans les replis de ses murs, enfermés dans un rêve qui n’en finira jamais plus…

Une jeune fille, douce, assise sur les hauteurs d’un des plus grands arbres habités de la cité, contemple ce paysage, les cheveux dans le vent, le regard vague, elle rêve éveillé par-delà les murs qui bloquent sa vision.

Le monde à ses pieds, elle sent la solitude l’étreindre au plus profond de son être, son cœur s’emballe, une larme apparaît au coin de sa joue et tombe dans l’infini profondeur du monde qui d’en bas n’en finit plus.

Fermant les yeux, des pensées s’interrogent, s’entrechoquent comme si la violence insoutenable ne pouvait naître que de l’innocence de cette fleur rebelle.

Une dernière pensée qui s’immobilise, se suspend même dans le néant de son être :

– A quoi bon voir toute la beauté de ce monde ?

– Quand plus personne ne sait voir par soi-même.

– les mêmes yeux partout ne voyant que les mêmes choses autour.

Un bruit fugace de pas, la sort de ses pensées, elle se retourne et voit son chat le sourire en coin s’approcher d’elle et dans un soulagement certain elle lui dit :

– salut gros patapouf, tu viens au bon moment, tu vois, j’étais perdu en moi-même à ressasser mon amertume, dans cette abyme infernal, là où toutes mes pensées m’enchaînent dans la finitude de leurs ombres en carton.

Le chat s’allonge tout contre ses jambes et avec sa tête se frotte à elle tout en ronronna de plus belle.

– Regarde mon Pompon, ici je suis libre d’être celle que je veux, il n’y a plus aucun murs qui m’enferment ni aucune prisons qui pourraient bloquer ma vision.

– Et qu’est-ce que tu veux être alors ? Lui répondit le chat.

Perdu dans l’immensité, dans l’austérité même de son être, elle baissa sa tête et lui dit :

– Déjà, Je ne veux plus jamais me sentir si seul.

– c’est pour ça que tu es si malheureuse ?

– Je ne supporte plus rien, le monde, les gens, ma vie même s’enfuit dans d’insondable conflits qui me dépassent et m’exaspèrent tout en m’emprisonnant toujours plus en moi-même. Je suis le jouet de tout ce qui me déborde. Ainsi au summum de l’irrationnel tout m’effleure et me m’enflamme et J’hurle intérieurement toute l’outrance de mon rapport au monde.

– Mon enfant, calme toi, tout en toi est furie et je le comprends tellement mais sache bien que tu te retrouves en ce moment à la fleur de l’âge et pour cela la sève de la vie en toi monte et active peu à peu toutes les parties qui te constituent ! De la sensation la plus basique, tu t’ouvres peu à peu à l’émotion qui prend de plus en plus d’ampleur, cette émotion s’emballe au fur à mesure dans la confrontation radicale avec ton imagination débordante.

Un bruit du fin fond de la ville surgit et interrompit un temps avant que le chat reprenne :

– En toi se vit un tout nouvel acte, qui est celui de t’ouvrir d’un coup au feu d’artifice intérieur, à toutes ces parts de toi qui marchant en plein régime se répercutent, se battent, s’affrontent, explosent même parfois, dans un tumulte digne des odyssées les plus frappants. Et le pire dans tout ça reste de ne rien n’y comprendre et c’est d’autant plus terrible, car il t’es totalement pour l’instant impossible d’assimiler, même imaginer que tout ceci exprime un processus nécessaire, logique même, avec un sens et donc un but.

Dans cette nouveauté, dans ce renouveau même, tout ce qui se passe intérieurement comme extérieurement est partie constituante des saisons qui façonne les éléments de tout ton être. Vois-tu, il sort en toi d’innombrables et d’incroyables choses comme le printemps fait apparaitre sur terre toute la multitude et la somptueuse robe multicolore de la nature qui flamboie.

Ainsi, tu ne sais comment réagir à cette foudroyante monté de vie et tout t’irrite et te bouscule car dans tout ce que tu ressens, tout devient sauvage, violent même car indompté, incompris, jet impétueux sortis sans barrage !

Alors tout en toi cherche des repères, des rives mêmes qui pourrait réussir à réguler, contenir la fougue infini de ce raz de marée. Pour ainsi te protéger de cet afflux inconnu qui s’insinue au plus profond de ton être et t’emporte vers des émotions inconnues, vers des contrés et rivages insoupçonnés.

Et dans cette expérience folle, complètement déstabilisante, tu ne vois plus de sortis, d’issu possible si ce n’est suivre sans pouvoir rien faire, le courant intérieur de ce torrent surpuissant qui renverse tout sur son passage.

Alors que peux-tu faire ?

Comment peux- tu te poser, pour essayer de réfléchir alors que tout te pousses, à agir, à réagir sur tout…

Enfin de compte, inexorablement, il faut que tu arrives à un moment, à te poser pour que tu puisses intégrer ce chaos, ce monde terrible et hostile de manière plus lucide et sereine.

Mais toute l’horreur de ton incompréhension vient de ce face à face cruel avec ta propre innocence qui rugi, qui hurle pourquoi ?

Ainsi tu t’ouvres entièrement aux saveurs de ce monde sans savoir comment poser des limites et te protéger ainsi de ce courant de vie qui s’amplifie, qui t’amplifie.

Alors tu te sens perdu face à la vastitude de la folie qui sonne à ta porte et tu ne peux imaginer ne serait-ce qu’un sens à tout cet imbroglio et fracassant dilemme.

Douce perplexe, devant tant d’information laisse d’un coup sa rage sortir de ces trippes les plus morbide en criant : Mais quoi ! Je ne comprends pas ! Il y aurait un sens à tout ça ?

– Mon enfant, tu comprendras un jour que tout est dans les sens !

– Je ne comprends toujours pas.

– Mais avant de comprendre déjà ça, tu vas faire l’expérience à travers de tes propres sens, comme des fenêtres sur le monde du dehors, tu vas t’ouvrir à une immensité de toute forme et variété possible d’informations qui vont te donner les bases et les structures, pour te créer tes propres repères, des sortes de point d’appui qui vont te donner la matière, l’essence pour la construction de ta propre carte du monde, si tu préfères ta manière d’entrevoir le monde.

Ainsi il y a plus que le sens en fait mon enfant mais là n’est pas le plus important car c’est ton sens à toi qui est à découvrir, à aiguiser même pour le faire grandir, interagir dans la cogitation et la perception de ton monde, ainsi tu pourras découvrir le début d’une certaine compréhension à tes propres dilemmes et incertitudes !

– Je ne comprends toujours pas.

– Et c’est bien pour ça que tu es si mal car tout n’est que cris inaudibles ; bruit assourdissant sans fin; hurlement d’un tumulte déraillant même. Car toutes les personnes qui te parlent, tu les attends sans les comprendre.

Ainsi pour toi, le monde même ne veut rien dire comme tous ces êtres qui te parlent mais que tu ne comprends pas un instant.

Ne t’inquiètes pas car au commencement personne ne peut se comprendre et en conséquence tous n’ont d’autres choix que de s’écouter eux même !

Tous ne s’attende pas à autre qu’eux même !

Voix tu c’est une boucle imperceptible du son de notre voix qui sans cesse porte l’écho de notre être dans le son d’autrui.

Mais peu importe, sache que peu à peu tu vas apprendre le langage avec les choses de ce monde et plus tu t’ouvriras à cette relation plus les choses deviendront clair.

– Mais le monde, les choses, les évènements ne parlent pas, ce sont les gens qui parlent non ?

– Tout parle mon enfant, c’est seulement nous qui ne savons pas détendre l’oreille.

Douce complétement désespérer, lui répondit en chuchotant : Je ne comprends toujours pas.

– Ecoute, détend toi, il me vient une histoire qui me fait penser à ton problème d’oreille :

J’ai rencontré un jour une limace toute fier de me passait devant. Le truc tu voix c’est que j’étais allongé alors elle n’avait pas trop de mal à me dépasser, enfin, elle avançait quand même et si lentement que je me mis à me moquer d’elle.

Au bout de quelques instants qui paraissaient être une éternité, la limace qui n’avançait guerre plus vite se tourna vers moi, perdant d’un coup sa verdure éclatante elle devint tout rouge écarlate, de colère je pense et me dit :

– Qu’as-tu à te moquer de moi ? Espèce de grosse boule de poil sans gêne !

Alors je lui répondis d’un air narquois :

– Je crois n’avoir jamais vu quelque chose d’aussi lent et pourtant d’aussi fier!

– Et oui, ma lenteur comme tu dis est ma force et pour cela j’en suis fier.

– Tu dois être sacrément forte alors car en effet je ne vois rien d’autre qu’une limasse en perte de vitesse !

– Tu peux bien te moquer de moi mais hélas c’est bien ta vitesse qui t’illusionne.

– Et pourquoi ça mollusque ? L’air énervé, je lui répondis car il commençait à me courir sur le haricot.

– Car en fait, tu ne peux apercevoir de ton monde que la moitié des choses !

– La moitié des choses ! Lui répondis-je blasé.

– Vois-tu quand tu veux quelque chose tu y es en deux trois mouvements alors que pour moi il me faut bien plus de temps pour arriver au même endroit. Grace à tout ce temps, j’ai l’immense privilège, que dis-je l’exclusive possibilité de faire mille et une autres choses, comme regardé la moitié des choses que tu n’as pas pu faire attention en cause de ton allure si prompte et si rapide !

– Quoi, hein ! Que dis-tu ? Et qu’y a-t-il de si important à voir ?

– Vois-tu, Tous les chemins t’amènent quelque part. Mais durant ce cheminement tu n’auras rien apprit de plus, alors que si le chemin devient équivalent de l’endroit où tu vas, tu y découvriras toujours bien plus de choses.

– Mais que dis-tu ! Il n’y a rien à voir, c’est toujours le même endroit.

– tout est la même chose si le regard ne fait pas attention, vois-tu, c’est toujours la même chose pour toi alors que pour moi c’est un champ où se découvre sans cesse de nouvelles et magnifiques fleurs !

– Ce n’est pas possible, je ne te crois pas, puis dans cette pièce il n’y a pas de fleurs de toute façon.

– Et c’est bien là la différence entre moi et toi mon ami, ta vitesse t’enferme dans tes perceptions qui se figent sans cesse alors que ma lenteur m’ouvre un champ fluide et léger qui me permet de découvrir des choses dans les choses, des mondes dans les mondes, de la vie dans la vie.

Ainsi ouvert totalement, avec tous mes sens à l’affut, j’entrevoie toujours ce qui m’était totalement inconnu avant, insoupçonné même.

Car vois-tu, heu excuses moi, c’est vrai, j’avais oublié, tu ne peux pas voir encore, mais qui c’est un jour peut être…

Imagine alors, cela pourrait-être une aide, un déclic, ou l’aurore même d’une compréhension nouvelle qui te réchaufferai le cœur comme elle embrase tout mon être à chaque instant.

Ainsi je ne vois plus ce que l’habitude m’imprimait de voir, non le tissu même de ce que je voie se déchire alors, et s’ouvre une danse, un chant, un champ même de relation, avec les choses qui m’entourent, car tout n’est jamais figé pour celui qui ne fige plus, tout change, bouge, vibre, chante, s’exprime.

– Humm c’est un peu gros là, je ne sais pas ce que tu fumes mais bon, arrêtes tout de suite !

– Non pas du tout, tu n’imagines pas que tout, que tout ce qui se trouve autour de toi peut être totalement différent de ce que tu perçois.

– Mais arrête de dire n’importe quoi, je ne vois rien d’autre que d’habitude !

– Et c’est bien ça tout ton problème, car cette habitude t’obstrue la vision claire et limpide, simple et directe, de ce qui est présent devant toi mais qui par ton absence flagrante, ton habitude soit, te bloque son passage et donc sa possible contemplation !

Et ainsi Tu ne peux voir que ce que tu crois. Et tu crois de ce fait par habitude que tout est là immobile, pareil, figer, solide, avec comme seul utilité ce que toi tu peux imaginer en faire. Peut-être que tu ne vois en fait de compte que toi, dans ton immobilité inutile puisque tu ne vois rien d’autre !

–  Là je suis perdu, je ne te suis plus.

La limace se retournant doucement, partant sans mot dire. Je ne voyais pas son visage mais je l’imaginai souriant et fier d’avoir pu me moucher ainsi. Je remarquai sa tête qui bougeait de droite à gauche, elle contemplait les différents côtés de la pièce que je n’avais jamais eu l’idée d’y prêté attention.

Perplexe, immobile, ne sachant quoi faire, je commençais à regarder lentement, intensément même ce qui avait toujours était là mais qui par ma seul absence n’avait pu m’apparaitre.

La limace n’était plus là, et dans son absence bien présente, je pris conscience de ma propre absence, alors là anéantit dans un abysse béant et solitaire je ne fus jamais plus le même.

A partir de cette instant en moi s’ouvrit un espace qui je le sais maintenant avait toujours étais là !

Avant la rencontre avec ce petit mollusque de rien du tout, inutile et totalement insignifiant pour moi, tout avant avait été fait machinalement, automatiquement, je répétais sans cesse les choses sans savoir, ni comprendre, j’étais totalement inconscient du monde alentour ainsi que de mon monde intérieur.

Elle était parti mais elle m’avait laissé un merveilleux présent, qui m’a suivi jusqu’à la, ce cadeaux juste enfermé dans quelques phrases échangées, empaquetées étaient simplement la redécouverte de ma propre présence, conscience lucide de ma total présence.

Sans cette présence toute ma vie j’aurais été au abonné absent, inconscient du monde dans lequel je vivais.

Ainsi, peu importe mes différents buts et mes différents chemins parcouru, j’ai pu rester ouvert à ce champ fabuleux qui nous entoure à chaque instant tout en nous branchant progressivement sur la relation signifiante de notre propre redécouverte.

Comprends-tu cette petite histoire ?

Douce inébranlable, le regard dur répondit d’un geste de la main :

– Je ne comprends rien de toute façon ! Si en fait je comprends que tout ce que j’aime comme mon père se trouve inexorablement absent alors que tout ce qui est présent m’insupporte au plus haut point.

– En effet c’est tout le paradoxal de la chose, qu’il fasse qu’au début tu en comprennes tout l’inverse, ou rien si tu préfères. Car vois-tu, au commencement souvent tout parait inverser, renverser, déverser sans commune mesure, sans dessus dessous, désordonner même…  Alors c’est là qu’il ne faut surtout pas s’arrêter.

– M’arrêter à quoi, je suis perdu ici entouré par une vaste forêt de béton armé, seul contre tous, et au loin quelque part ce trouve mon père alors que je ne sais même pas où il se trouve exactement ! Nuit après nuit, je rêve constamment de le retrouver.

– Qui te dit que tu ne l’as pas retrouvé.

– Comment ça, mon père est en prison au bout du monde, et moi je suis là à parler avec un chat !

– Toute chose n’est pas ce qu’il parait.

– Je ne voie pas pourquoi je discute avec toi, tu ne me comprends pas, et moi n’ont plus d’ailleurs.

– Je te laisse, mais sache que tu ne seras jamais plus seul.

– C’est ça, tchao boule de poil.

Le chat doucement se retourna et laissa la jeune fille face aux tumultes de ses émotions, et aux pensées béantes qui l’assombrissaient totalement.

Le crépuscule envahit tout l’horizon d’une couleur funeste, un vrombissement au loin la réveilla de sa torpeur, des éclairs dansaient au loin, une tempête s’approchait doucement, surement.

Face à la fulgurance de ce spectacle, elle se vit encore seul, seul au monde…

Alors dans les profondeurs de son antre se dessina doucement une déchirure, une fêlure somptueuse ou naissaient en même temps deux possibilités à naître, soit sauter dans l’abîme inconnu et vide devant elle…

Soit fuir, se retourner et se cacher dans la famille qu’il l’avait recueilli depuis la disparition de son père, et attendre, attendre, éternellement attendre.

Un bruit répétitif la fit se retourner, c’était son réveil qui…